Revue professionnelle >

Psychisme et soma – ça ne marche que main dans la main

L'article original a été rédigé en allemand.

Diagnostic en parallèle lors de suspicion de troubles fonctionnels.

Un vendredi soir normal aux urgences

Un vendredi soir attend au service des urgences bondé une adolescente avec des douleurs abdominales, vertiges et malaise. Depuis des semaines elle ne se rend plus à l’école et passe les journées à la maison. Les parents relatent plusieurs consultations et investigations médicales sans résultat concluant. Ils se plaignent que malgré la souffrance de leur fille personne ne prend ses troubles au sérieux et que rien de concret n’est entrepris. D’autres patient·e·s attendent une prise en charge urgente, un enfant avec suspicion de méningite nécessite une ponction lombaire et on annonce un enfant instable suite à un polytraumatisme. Quelle conduite faut-il envisager pour cette adolescente? Nous décrivons ci-après la prise en charge structurée et interprofessionnelle lors d’une suspicion de troubles fonctionnels, qui fait ses preuves dans la pratique et qui correspond aux recommandations actuelles(1).

Arrière-plan

Des troubles physiques sans constat somatique les expliquant sont un phénomène fréquent. Ils engendrent un recours considérable au système de santé, avec des coûts élevés et le risque d’interventions inutiles et de faux diagnostics(2). Les chiffres de la médecine adulte indiquent que 25-50% des troubles physiques constatés en médecine de premier recours entrent dans cette catégorie(3). Les douleurs abdominales sont la cause la plus fréquente de consultations répétées en pédiatrie, suivies des céphalées et des douleurs dorsales(4). Des symptômes fonctionnels neurologiques, comme les crises non-épileptiques ou les troubles de la sensibilité, se manifestent surtout à l’adolescence(5). De nombreux patients et patientes avec des troubles fonctionnels ne présentent pas un unique symptôme persistant, mais souffrent de troubles multiples et parfois alternants(6), souvent source de peurs et de craintes pour la santé(3) et de restrictions au quotidien. N’est pas seulement compromis le développement émotionnel et social, mais en raison des absences fréquentes aussi le parcours scolaire(6).

La discrépance entre l’absence de constatations organiques et les troubles physiques vécus très intensément est un défi non seulement pour les patients et leur parents mais aussi pour les médecins et les équipes soignantes. Bien que les troubles aient une origine biopsychosociale, ces patient·e·s sont vu·e·s d’abord par le ou la pédiatre installé·e pour être ensuite adressé·e·s, en fonction de la localisation des troubles, à un·e spécialiste. Avec pour conséquence l’implication d’emblée de plusieurs spécialistes et des examens de systèmes d’organes, des appréciations et des retours isolés. Cela complique la communication et une compréhension globale de la maladie ainsi que la mise en place de mesures thérapeutiques efficaces(7). Diagnostiquer correctement des troubles fonctionnels est un processus complexe et nécessite une approche interprofessionnelle(8). Il est important que les investigations somatiques et psychodiagnostiques soient effectuées en parallèle et que les facteurs somatiques, psychiques et sociaux soient pris en considération au même titre(9). Il est prouvé que l’implication précoce de psychologues/psychiatres dans les investigations raccourcit la durée d’hospitalisation des patient·e·s avec des troubles fonctionnels(10). De plus on veut éviter, par l’approche interprofessionnelle dès le début de la prise en charge, que les patient·e·s et leur familles se sentent «relégué·e·s» en psychologie/psychiatrie lorsque la médecine somatique n’a pas trouvé d’explication pour leur troubles.  

Alors que pour une suspicion de méningite ou un polytraumatisme la voie diagnostique et thérapeutique est clairement tracée, souvent les professionnels se sentent désemparés lorsqu’un trouble ne trouve pas d’explication somatique. Ils ne disposent pas d’une terminologie homogène pour le phénomène pathologique et pas non plus de recommandations claires, auxquelles s’orienter lors de la prise en charge de ces patient·e·s qui exigent beaucoup de temps(11). Ce sont néanmoins ces patients et ces patientes précisément qui demandent une équipe de professionnel·le·s avec une grande expertise médicale et de bonnes compétences communicatives. Après des investigations excluant purement des affections organiques, les malades et leur familles ne se sentent souvent pas pris au sérieux. La validation des symptômes, l’acceptation du diagnostic et un suivi étroit par l’équipe soignante sont des éléments centraux pour la réussite du traitement(7). Il est primordial que toutes et tous les professionnel·e·s impliqué·e·s disposent de l’expertise nécessaire et appliquent une terminologie uniforme pour expliquer quel diagnostic l’équipe envisage et quels traitements sont indiqués. De nombreux patient·e·s et parents ont dans un premier temps de la peine à accepter des explications biopsychosociales, craignant qu’on ne néglige une cause purement somatique à l’origine des troubles. Des hésitations même minimes ou des divergences dans le choix des mots peut déstabiliser et ébranler la confiance dans le concept thérapeutique biopsychosocial(12). Des aides à la formulation qui ont fait leur preuves dans le quotidien clinique sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1. Formulations possibles lors de l’échange avec les patient·e·s /familles (d’après Ibeziako et al. 2019(2) et Egloff et al. 2019(15))

Évaluation et diagnostic

En lieu et place d’un simple diagnostic par exclusion on recommande une évaluation biopsychosociale globale(1,2). Mais que faut-il attendre de la part de l’équipe au service des urgences un vendredi soir? Une hospitalisation en urgence ne semble pas appropriée, dans les unités hospitalières l’attention étant centrée sur les malades aigus et les ressources personnelles nécessaires à une évaluation globale n’étant pas disponibles. Selon le niveau de pression supporté par la famille et les risques pour le développement social et scolaire, s’est avérée efficace une hospitalisation élective intégrant la fréquentation de l’école. Cette option sera proposée et planifiée à court terme encore au service des urgences. Si la situation est globalement compensée et le fonctionnement quotidien garanti malgré les troubles, on envisagera une évaluation interprofessionnelle ambulatoire.

Hospitalisation élective pour évaluation, intégrant l’école

Si un enfant ou adolescent·e avec suspicion de troubles fonctionnels est hospitalisé·e pour évaluation, l’admission à l’hôpital sera idéalement planifiée pour le début de la semaine et pour une durée de 3-5 jours. Ce n’est qu’ainsi que les éléments essentiels tels les entretiens interprofessionnels, les investigations et le soutien psychopédagogique de la famille peuvent être planifiés et que les différent·e·s spécialistes seront disponibles (pour le déroulement cf. fig. 1). Les patient·e·s peuvent ainsi également profiter de traitements (e.a. physiothérapie) et de l’école de l’hôpital. En présence d’un absentéisme scolaire prolongé, l’hospitalisation peut favoriser la réintégration scolaire. Le séjour hospitalier permet de rassembler les observations de tous les professionnels, y compris les infirmier·e·s et enseignant·e·s, de compléter les investigations somatiques et d’obtenir un avis psychologique/psychiatrique détaillé. Les investigations somatiques déjà pratiquées à l’extérieur sont étudiées et validées, mais pas forcément répétées.

L’objectif de l’hospitalisation est l’établissement d’un diagnostic, l’information de la famille sur le trouble suspecté et la planification du suivi thérapeutique. Il est rare qu’on décèle encore une cause somatique pour les troubles, qui seront alors traités selon les recommandations. Dans la plupart des cas on recommande une approche multimodale incluant des interventions psychothérapeutiques, sociales et des thérapies physiques, ainsi qu’une réintégration dans la vie quotidienne. L’école pendant l’hospitalisation en est un élément important.

L’absentéisme scolaire est un phénomène complexe et les raisons pour les absences sont multiples. Plus l’absence de l’école dure, plus importantes seront néanmoins les conséquences, indépendamment des causes; le retour rapide à l’école est essentiel afin d’éviter une évolution chronique compromettant le développement de l’enfant ou adolescent·e(13,14). La fréquentation de l’école pendant le séjour à l’hôpital, dans un cadre protégé et avec un pensum limité, permet souvent de surmonter un premier obstacle, et en plus de bénéficier pendant les leçons d’un soutien dans la gestion des symptômes (dans le sens «je vais à l’école malgré les douleurs»). Dans la pratique cette approche s’avère prometteuse et représente un premier pas en vue de la réintégration dans la vie sociale et scolaire.

Au terme des investigations somatiques et psychologiques/psychiatriques a lieu l’entretien interprofessionnel. Dans une discussion préliminaire entre professionnel·e·s impliqué·e·s sont réunis les résultats des investigations, évoqués les diagnostics et modèles de troubles possibles, et est esquissé un plan de traitement. En règle générale le traitement est ambulatoire. En présence de symptômes durant depuis longtemps et occasionnant des restrictions conséquentes, on évoquera une prise en charge en milieu hospitalier. Après l’échange entre professionnels a lieu l’entretien avec la famille. Il s’agit de présenter soigneusement les résultats, de répondre aux questions, d’élaborer avec les patient·e·s et les parents une compréhension biopsychosociale commune des symptômes et de les motiver à s’engager dans un plan de traitement global. Il est important de poser un diagnostic positif (p.ex. «trouble dissociatif») et de mettre en évidence les résultats des évaluations biopsychosociales qui ont permis d’établir ce diagnostic, plutôt que d’uniquement mentionner les maladies qui ont été exclues(7). Avant qu’un diagnostic ne soit posé, on parle généralement de «patient·e·s avec suspicion de troubles fonctionnels», alors qu’au terme des investigations les symptômes peuvent souvent être attribués aux troubles cliniques selon CIM-11 comme la douleur chronique primaire, le syndrome de détresse physique, les troubles dissociatifs ou les troubles anxieux.

Figure 1. Évaluation interprofessionnelle lors d’une suspicion de troubles fonctionnels.

Investigation ambulatoire

Une hospitalisation ne s’impose pas pour tous les enfants et adolescent·e·s avec suspicion de troubles fonctionnels. Souvent et malgré les douleurs, leur fonctionnement au quotidien est adéquat. Néanmoins pour ce groupe de patient·e·s règne généralement aussi une grande insécurité concernant le classement et le traitement des symptômes. Idéalement, en ambulatoire aussi, l’approche est interprofessionnelle et les investigations psychique et somatique sont effectuées en parallèle. Cette manière de procéder est pratiquée à la Clinique pédiatrique Zurich, au sein de la consultation interprofessionnelle et de la consultation post-Covid, avec de bons résultats mais avec des ressources limitées. Bien que l’investissement en temps et personnel de l’offre interprofessionnelle apparaisse au premier abord importante, cette approche diagnostique des troubles fonctionnels a un grand avantage et permet un traitement efficace, de limiter les interventions diagnostiques invasives et une meilleure compréhension de la maladie par les personnes concernées.

Conclusion

En présence de troubles fonctionnels s’avère efficace l’évaluation interprofessionnelle en parallèle, ambulatoire ou en milieu hospitalier. Les hospitalisations en urgence sont à éviter. Les spécialistes en médecine psychique et somatique doivent collaborer pour investiguer, mener les entretiens diagnostiques et mettre en place un plan thérapeutique multimodal. La fréquentation de l’école pendant le séjour à l’hôpital contribue à la réintégration dans la vie quotidienne.

Références

  1. Roenneberg C, Hausteiner-Wiehle C, Henningsen P. „Funktionelle Körperbeschwerden“: Klinisch relevante Leitlinien-Empfehlungen. PSYCH up2date. 2020;14(01):35-53. doi:10.1055/a-0901-5103
  2. Ibeziako P, Brahmbhatt K, Chapman A, et al. Developing a Clinical Pathway for Somatic Symptom and Related Disorders in Pediatric Hospital Settings. Hospital Pediatrics. 2019;9(3):147-155. doi:10.1542/hpeds.2018-0205
  3. Haller H, Cramer H, Lauche R, Dobos G. Somatoform Disorders and Medically Unexplained Symptoms in Primary Care. Deutsches Ärzteblatt international. Published online April 17, 2015. doi:10.3238/arztebl.2015.0279
  4. Ambord S, Eichenberger Y, Delgrande Jordan, M. Gesundheit und Wohlbefinden der 11- bis 15-jährigen Jugendlichen in der Schweiz im Jahr 2018 und zeitliche Entwicklung. Resultate der Studie “Health Behaviour in School-aged Children” (HBSC) (Forschungsbericht Nr. 113). Lausanne: Sucht Schweiz. 2020. Lausanne: Addiction Suisse.
  5. Silber TJ. Somatization Disorders: Diagnosis, Treatment, and Prognosis. Pediatrics In Review. 2011;32(2):56-64. doi:10.1542/pir.32.2.56
  6. Wiggins A, Court A, Sawyer SM. Somatic symptom and related disorders in a tertiary paediatric hospital: prevalence, reach and complexity. Eur J Pediatr. 2021;180(4):1267-1275. doi:10.1007/s00431-020-03867-2
  7. Schechter NL, Coakley R, Nurko S. The Golden Half Hour in Chronic Pediatric Pain—Feedback as the First Intervention. JAMA Pediatr. 2021;175(1):7. doi:10.1001/jamapediatrics.2020.1798
  8. Von Polier GG, Simons M. Somatoforme Störungen bei Kindern und Jugendlichen. In: Fegert J, Resch F, Plener P, et al., eds. Psychiatrie und Psychotherapie des Kindes- und Jugendalters. Springer Reference Medizin. Springer Berlin Heidelberg; 2020:1-17. doi:10.1007/978-3-662-49289-5_112-1
  9. Roenneberg C, Sattel H, Schaefert R, Henningsen P, Hausteiner-Wiehle C. Functional Somatic Symptoms. Deutsches Ärzteblatt international. Published online August 19, 2019. doi:10.3238/arztebl.2019.0553
  10. Bujoreanu S, White MT, Gerber B, Ibeziako P. Effect of Timing of Psychiatry Consultation on Length of Pediatric Hospitalization and Hospital Charges. Hospital Pediatrics. 2015;5(5):269-275. doi:10.1542/hpeds.2014-0079
  11. Wileman L. Medically unexplained symptoms and the problem of power in the primary care consultation: a qualitative study. Family Practice. 2002;19(2):178-182. doi:10.1093/fampra/19.2.178
  12. Neville A, Jordan A, Pincus T, et al. Diagnostic uncertainty in pediatric chronic pain: nature, prevalence, and consequences. PR9. 2020;5(6):e871. doi:10.1097/PR9.0000000000000871
  13. Dougherty, S. M., Childs, J. Attending to attendance: Why data quality and modeling assumptions matter when using attendance as an outcome. In: Absent from School: Understanding and Addressing School Absenteeism. Harvard Education Press.; :53-66.
  14. Lenzen C, Brunner R, Resch F. Schulabsentismus: Entwicklungen und fortbestehende Herausforderungen. Zeitschrift für Kinder- und Jugendpsychiatrie und Psychotherapie. 2016;44(2):101-111. doi:10.1024/1422-4917/a000405
  15. Egloff N, Schwegler K, Grosse Holtforth M. Funktionelle Körperbeschwerden. Therapeutische Umschau. 2019;76(5):267-272. doi:10.1024/0040-5930/a001093

Informations complémentaires

Traducteur:
Rudolf Schlaepfer
Correspondance:
Auteurs
Dr. phil. Alice Prchal, Abteilung für Psychosomatik und Psychiatrie, Universitäts-Kinderspital Zürich, Zürich
Dr. med. Lara Gamper, Abteilung für Allgemeine Pädiatrie, Universitäts-Kinderspital Zürich, Zürich