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L’approche transdisciplinaire : un catalyseur efficace pour comprendre et soigner les troubles fonctionnels 

L'adolescence est une période de développement et de croissance propice à l’émergence de troubles fonctionnels. Ces derniers peuvent se manifester avec une diversité de symptômes affectant différents systèmes du corps dont les plus fréquents sont les céphalées, les douleurs abdominales et musculo-squelettiques.

Le trouble fonctionnel

L’adolescence est une période de développement et de croissance propice à l’émergence de troubles fonctionnels. Ces derniers peuvent se manifester avec une diversité de symptômes affectant différents systèmes du corps dont les plus fréquents sont les céphalées, les douleurs abdominales et musculo-squelettiques(1). Parmi les critères diagnostiques l’on retrouve des investigations somatiques approfondies sans cause organique identifiée ainsi qu’un fort impact des symptômes sur le fonctionnement de l’adolescent dans une ou plusieurs sphères de sa vie.

Les troubles fonctionnels engendrent une importante souffrance en lien avec le fréquent manque de reconnaissance par les soignants alors que ces symptômes sont bien présents et ressentis par le patient. La littérature récente amène de plus en plus d’évidences sur les perturbations physiologiques retrouvées chez ces patients. L’on retrouve en particulier des perturbations de l’axe cortico-surrénalien, du système neuro-végétatif, du rythme circadien ainsi que des circuits de la douleur(2-4). Il paraît donc essentiel que le corps médical puisse disposer d’outils supplémentaires pour améliorer les prises en charge et ne plus attribuer à ce trouble des origines essentiellement psychiques, mais plutôt de le considérer comme une perturbation des interactions complexes entre corps et psyché.

Figure 1. Représentation visuelle des systèmes homéostatiques qui s’entrecroisent et qui constituent le système de régulation du stress. Kasia Kozlowska, 2013, reproduction avec la permission de l’auteure.

Les douleurs, les limitations et la chronicisation de la pathologie entraînent une souffrance psychique et impactent la sphère familiale, scolaire et sociale du jeune. Le corps médical peut alors être confronté à un sentiment d’impuissance en raison de la difficulté à comprendre la symptomatologie. Cette incompréhension va souvent amener les patients à rechercher d’autres avis médicaux ou tenter d’autres approches alternatives pour comprendre la nature du problème. Ceci entraîne ce qu’on appelle un shopping médical qui amène en général plus de confusion qu’autre chose et augmente de façon importante les coûts de la santé sans améliorer les symptômes des patients. Cette consommation excessive de soins qui va souvent de pair avec un manque de coordination entre les professionnels fait que chacun évalue son domaine de compétence sans avoir, par manque de moyens, de temps, une vision d’ensemble de la situation.

Le programme FIT@CHUV de réhabilitation fonctionnelle transdisciplinaire pour les adolescents est né au CHUV à Lausanne en 2017(5), à la suite du séjour prolongé (6 mois) d’une patiente en hospitalisation. L’équipe médico-soignante a été sensibilisée aux programmes déjà existants en Europe et en Amérique du Nord(6) par les parents de cette patiente. Nous avons ensuite construit le programme FIT@CHUV selon ces modèles internationaux.

Le programme inclut un travail sur quatre piliers de la vie des adolescents : la remise en mouvement, la socialisation, l’éducation et le sommeil. De plus, un accent important est également mis sur l’exploration psychique de l’histoire des patients, la fonction du symptôme ainsi que l’identification des déclencheurs, des traumas et autres facteurs qui influencent la régulation de la douleur et la relation corps-psyché. Les thérapies englobent le corps, l’esprit, l’école et la famille tout en proposant une collaboration transdisciplinaire. Cette forme de collaboration va au-delà d’une mise en commun, elle favorise l’élaboration transdisciplinaire d’une vision commune nouvelle du patient, de sa famille et de sa pathologie. Les troubles fonctionnels nécessitent donc une approche bio-psycho-sociale intégrée afin de permettre la création d’un environnement porteur (holding), à cheval sur les différents pans du clivage pour les réunir afin de restaurer les liens corps – psyché.

Cet article se propose de présenter le programme FIT@CHUV pour illustrer comment le travail transdisciplinaire peut améliorer la compréhension du trouble et de sa symptomatologie.

Le programme FIT@CHUV (thérapie intensive fonctionnelle)

https://www.chuv.ch/fr/dfme/dfme-home/enfants-famille/prise-en-charge/venir-pour-une-hospitalisation/le-programme-fit

Objectifs du programme FIT

La remise en mouvement tant sur le plan physique, psychique que social comme moteur central à la régulation de la douleur chronique.

Déroulement du programme

Le programme (FIT@CHUV) comprend plusieurs temps importants.

  1. Poser l’indication au programme FIT : La Division interdisciplinaire de santé des adolescents (DISA) du CHUV est en charge de l’évaluation ambulatoire du patient et c’est elle qui reçoit les demandes et indique une hospitalisation en collaboration avec la Pédopsychiatrie de liaison du CHUV.
  2. Préadmission : Un entretien de pré-admission a lieu le mercredi qui précède l’hospitalisation. Durant celui-ci, le programme est expliqué avec une insistance particulière sur la prise en charge transdisciplinaire proposée tout en abordant la nécessité d’un temps de rupture dans l’histoire du trouble. Un professionnel de chaque corps de métier est présent afin de faire connaissance avec le patient et la famille en discutant des attentes et objectifs de chacun.
  3. Hospitalisation de trois semaines au sein du service de pédiatrie du CHUV :
  • L’accueil : Le premier lundi, le patient et sa famille sont accueillis par un membre de l’équipe hospitalière FIT pour une visite de l’étage de pédiatrie et de la chambre. Le jeune reçoit son emploi du temps de la première semaine et les thérapies débutent dès la première journée.
  • Plan de traitement : Chaque lundi, le patient reçoit son emploi du temps de la semaine avec environ 6h de thérapies journalières.
Figure 2. Exemple d’emploi du temps
  • Qui intervient à quelle fréquence : Pendant les trois semaines d’hospitalisation, chaque membre de l’équipe a un rôle spécifique auprès du patient et de sa famille.
  • Les pédiatres hospitaliers rencontrent quotidiennenement le patient. Ils se concentrent sur les aspects somatiques comme l’alimentation, la gestion de la douleur et les traitements pharmacologiques. Ils assurent la coordination entre les différents intervenants et sont le point de contact principal pour la famille.
  • Les physiothérapeutes rencontrent quotidiennenement le patient. Ils accompagnent le jeune à se remobiliser progressivement, à réduire l’utilisation d’aides extérieures, à gérer la douleur et le stress, tout en explorant le lien entre les émotions qui émergent lors de la remise en mouvement physique. Ils proposent également des activités de plaisir, choisies par le patient, pour favoriser l’alliance. Des tests fonctionnels de la mobilité et de la force p.ex. sont utilisés pour fournir des retours objectifs au patient et aux autres membres du réseau.
  • Les ergothérapeutes offrent une rencontre journalière. Durant cette dernière, ils proposent des activités de la vie quotidienne et utilisent différentes échelles pour identifier les intérêts, les difficultés et les ressources du patient. Pendant l’hospitalisation, des objectifs de mobilisation sont fixés, et les thérapeutes soutiennent le patient dans son vécu émotionnel.
  • La pédopsychiatrie de liaison propose des entretiens individuels (2x/semaine) et familiaux (1 x/semaine) pour aborder les symptômes, la souffrance et l’expérience du patient, son monde interne ainsi que la dynamique familiale. Le travail thérapeutique vise notamment à assouplir les mécanismes de défense pour rendre moins rigide le clivage émotionnel et le clivage corps-esprit, pour n’en citer que deux, et à mettre du sens. Le travail en famille permet des échanges sur le trouble et son impact sur celle-ci. L’acceptation du trouble par le patient et la famille est aussi un enjeu important dans la prise en charge. L’infirmière en pédopsychiatrie, par le biais d’une rencontre par semaine, collabore avec le patient pour organiser une sortie, une activité plaisir, qui a lieu durant un après-midi de la dernière semaine d’hospitalisation.
  • L’hypnothérapie propose deux entretiens par semaine et aide le patient à trouver des ressources face à la douleur, en lui faisant expérimenter différentes techniques d’hypnose et d’autohypnose avant son retour à domicile.
  • L’espace éducatif favorise la sociabilisation du patient, les liens avec ses pairs et explore également le vécu émotionnel quotidiennement en situation sociale.
  • Les enseignants de l’école à l’hôpital collaborent avec l’école du patient pour définir un programme d’enseignement en accord avec le jeune. Les objectifs sont, entre autres, de limiter les retards en lien avec l’hospitalisation, d’observer comment la douleur s’exprime dans le contexte scolaire et de retrouver le plaisir d’apprendre et de travailler.
  • Retour les we : Durant l’hospitalisation, des congés durant les week-ends sont prévus pour permettre au patient de réintégrer son environnement familier afin que lui, ses proches et les professionnels puissent observer si des changements ont pu être amorcés.

Processus thérapeutique durant le programme FIT

Le programme a pour objectif la remise en mouvement

  • du corps (pour retrouver progressivement la fonction et diminuer la douleur),
  • du psychisme (en favorisant la mise en représentations du vécu, des émotions, désirs, besoins, conflits, d’éventuels traumatismes, et en redonnant du jeu à une pulsionnalité libidinale et agressive généralement réprimée au point d’entraver le processus adolescentaire, tout en gardant à l’esprit l’utilité défensive du clivage)
  • de la sphère sociale

Chaque mercredi les différents intervenants se réunissent afin d’échanger leurs observations et construire des hypothèses de compréhension. L’objectif principal est la co-construction de sens donné aux symptômes en les inscrivant dans la vie du sujet. Ces temps interprofessionnels sont essentiels car il existe souvent un clivage entre le somatique et le psychique, tant au sein du psychisme du patient qu’entre les professionnels. Durant le séjour et à son terme chaque thérapeute se met en lien avec son homologue ambulatoire (s’il y en a un). Ces échanges extrêmement importants permettent d’obtenir des informations détaillées sur ce qui a déjà été entrepris tout en assurant une continuité entre l’hôpital et l’ambulatoire.

Cette prise en charge bio-psycho-corporelle et sociale intégrée permet une compréhension holistique du patient et de son environnement.

Evaluation du programme

Une enquête d’opinion a été réalisée auprès des patients pris en charge dans le programme FIT@CHUV entre 2017 et 2021. Parmi les 40 patients hospitalisés durant cette période, 17 patients et leurs parents (43%) ont répondu à l’enquête au moyen d’un questionnaire ad hoc. L’enquête a eu lieu entre 6 mois et 4 ans après l’hospitalisation. Les patients décrivent une amélioration significative dans les quatre domaines de base de la vie des adolescents (4S): socialisation, scolarisation sommeil et sport (remise en mouvement). Après l’hospitalisation, l’analyse qualitative montre que le sommeil était particulièrement amélioré, suivi par la pratique sportive et la socialisation. Les trois-quarts des parents ayant répondu à l’enquête se sont sentis inclus et écoutés au sein du programme. Près de 4 patients sur cinq étaient satisfaits de la transition du retour à domicile et à l’école. (Travail de master de médecine de Mme Sophie Sabino de Oliveira, présenté au congrès de la Société française de pédiatre, juin 2023)

Conclusion

La prise en charge transdisciplinaire offre au patient une diversité d’espaces dans lesquels il peut se livrer, partager son vécu, et ce, peu importe la spécificité du thérapeute en face de lui. La richesse de ce programme réside alors dans la possibilité d’une mise en commun, d’une mise en liens, d’une co-construction de sens entre patient, famille et professionnels.

Cette description du programme FIT@CHUV vise également à souligner l’importance de ne pas rester seul face à ces maladies souvent complexes et chroniques car nous observons que c’est généralement grâce à une synergie interprofessionnelle, à un décloisonnement des disciplines que le symptôme peut progressivement s’amender. Il est primordial qu’il y ait un « pilote » parmi les membres du réseau pour garantir la communication et la mise en commun, la continuité entre les différents espaces de soins et possiblement atténuer le sentiment d’impuissance que chacun peut ressentir. Le réseau est porteur en lui-même d’un message de mise en commun, de réunification corps – esprit qui permet l’amorce du processus de guérison.

Faire une demande de programme FIT

https://www.chuv.ch/fr/disa/disa-home/personnel-de-la-sante/adresser-un-adolescent

Mentionner « demande pour programme FIT »

Références

  1.  Bohman H, Jonsson U, Paaren A, . Prognostic significance of functional somatic symptoms in adolescence: a 15-year community-based follow-up study of adolescent with depression compared with healthy peers. BMC Psychiatry 2012;12:90.
  2. Kozlowska, Kasia MBBS, PhD. Stress, Distress, and Bodytalk: Co-constructing Formulations with Patients Who Present with Somatic Symptoms. Harvard Review of Psychiatry 21(6):p 314-333, November/December 2013. | DOI: 10.1097/HRP.0000000000000008
  3. Ambresin, A., Wosinski, B. (2024), Médecine de l’adolescence. Expliquer la douleur chronique fonctionnelle aux adolescents, Rev Med Suisse, 20, no. 8567, 59–62. https://doi.org/10.53738/REVMED.2024.20.856-7.59
  4.  Ambresin, A., Deppen, A., Hofer, M., Dahner, L., Roche, O., Dezot, M., H., Beltrami, D., Nouvellet, P., Armengaud, J. (2018), L’union fait la force : traitement des troubles fonctionnels complexes à l’adolescence, Rev Med Suisse, 14, no. 603, 839–842. https://doi.org/10.53738/REVMED.2018.14.603.0839
  5.  Armengaud, J., Vaucher, S., Roche, O., Dahner, L., Lisier, M., Hodot, C., Mercier, A., Deppen, A., Ambresin, A. (2019), Quand tout est gelé, se remettre à bouger : programme FIT@CHUV, Rev Med Suisse, 15, no. 656, 1276–1280. https://doi.org/10.53738/REVMED.2019.15.656.1276
  6.  Caes L, Fisher E, Clinch J, Eccleston C. Current evidence-based interdisciplinary treatment options for pediatric musculoskeletal pain. Curr Treatm Opt Rheumatol 2018;4:223–34.

Informations complémentaires

Correspondance:
Auteurs
Elodie Marguerat, Psychologue assistante, service universitaire de psychiatrie de l’enfant et l’adolescent, CHUV
Dr med.  Alain Deppen, Médecin associé, Pédopsychiatrie, service universitaire de psychiatrie de l’enfant et l’adolescent, CHUV
Dr med. Jean-Baptiste Armengaud, Médecin-hospitalier, Département femme-mère-enfant, service de pédiatrie, CHUV
Dr med. Anne-Emmanuelle Ambresin, Division interdisciplinaire de santé des adolescents (Disa), Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) et Université de Lausanne (UNIL)