Le deuil n’est pas une maladie – non, le deuil est une réaction naturelle, psychique et parfois aussi physique à une perte. Par contre un deuil refoulé ou non vécu peut effectivement rendre malade. Il est donc important de laisser de l’espace au deuil, aussi et déjà dans des situations palliatives.
Le psychothérapeute germano-grec récemment décédé, Jorgos Canacakis, connu en tant qu’auteur et pour ses travaux sur la thérapie du deuil, le souligne : la capacité à faire son deuil peut se développer et c’est une tâche vitale pour pouvoir gérer les pertes de manière positive. Il parle du deuil comme d’une personne exigeante : « Le deuil veut être vu, entendu, pris au sérieux, compris et accepté mais aussi légitimé avec compassion. »(1)
Dans de telles conditions, le deuil vu, entendu et légitimé peut se transformer en une force incroyablement vitale et créative, qui permet de mener une vie épanouissante. Pour cela est souvent nécessaire un soutien professionnel de la part d’accompagnateurs·trices en deuil. Cependant, beaucoup de personnes concernées et leur entourage, y compris dans les milieux médicaux, sont encore trop peu informés de l’existence de ces accompagnateurs·trices et de la manière dont ils et elles travaillent.
L’Hôpital pour enfants de St Gall, avec son Advanced Care Team pédiatrique (PACT), dirigé par le Dr Jürg Streuli, joue ici un rôle de pionnier. Nicole Spesny, accompagnatrice de familles dans le deuil diplômée, en fait partie, à temps partiel, en collaboration étroite avec les médecins, les infirmièr·e·s, des aumôniers et des psychologues. Dans le cadre du PACT, elle se rend au domicile des familles.
Donner forme au deuil
Un matin du printemps 2023. Diego (9 ans) et Raffael (6 ans) ouvrent la porte à Nicole Spesny et l’accueillent chaleureusement. C’est la première visite de Mme Spesny chez cette famille. Fabio, le frère des deux garçons, va mourir. Fabio est le frère jumeau de Raffael et est gravement malade depuis sa naissance. Ses frères savent qu’il ne vivra plus longtemps, mais ils ne peuvent pas encore saisir pleinement la gravité de la situation, ni comprendre ce qui les attend. C’est pourquoi les médecins ont proposé Nicole Spesny comme accompagnatrice pour la famille.
« Tant que l’enfant est encore en vie, nous n’utilisons souvent pas le mot “accompagnatrice de deuil”. Car notre expérience montre que les mots créent une réalité. Et même si la réalité de la mort et du deuil est inévitable, l’espoir persiste souvent jusqu’à la dernière seconde. C’est pourquoi il peut être utile de commencer un accompagnement sans évoquer le deuil, cela facilite l’entrée dans la famille. »
Ce matin-là, à Eschenbach, Nicole Spesny commence par boire un café avec la mère des trois garçons et lui explique le rôle et la fonction d’une accompagnatrice de deuil. Elle précise qu’elle est là pour la famille, pour préparer les parents mais surtout les enfants, de manière adaptée à leur âge, à la fin de vie et à la mort. Elle aide à activer des ressources, à créer des moments d’adieu et à forger des souvenirs précieux, auxquels personne probablement ne penserait dans une telle situation. « Notre mission est de transformer le deuil. Nous travaillons beaucoup de manière créative, car avec les enfants on ne peut pas parler longtemps du deuil. Ce dernier ne devient ni tangible ni compréhensible par la seule conversation. C’est pourquoi, ensemble avec les enfants, nous donnons une forme créative au deuil et à toutes les émotions qui l’accompagnent. »
Se défouler avec la machine à colère
Ils dessinent par exemple une « machine à colère » avec des valves. Chaque valve représente une réaction que l’enfant connaît lorsqu’il est submergé par la colère et l’impuissance. Nicole Spesny aide alors à trouver des stratégies pour utiliser ces réactions de manière constructive. Une silhouette grandeur nature de l’enfant, dessinée sur du papier kraft, les aide également à identifier et à localiser leurs émotions. Où sont-elles situées dans leur corps et à quoi ressemblent-elles ? Armés de crayons de couleur, les enfants se mettent au travail.
«Souvent, nous offrons aussi un soutien très pratique», raconte Nicole Spesny. «Par exemple, expliquer quel cercueil pour enfant est adapté, ou si papa est autorisé à conduire lui-même l’enfant décédé au crématoire avec sa voiture.»
La mère de Fabio, Raffael et Diego, témoigne combien l’accompagnement dans le deuil a été important pour elle et ses enfants. Fabio, gravement malade, était déjà suivi par le Dr Jürg Streuli et son équipe, c’est ainsi qu’elle a appris l’existence de cette offre d’accompagnement et qu’elle a pu en bénéficier. Ce n’a pas été précieux seulement pour elle en tant que mère :
« Les garçons ont pu immédiatement s’ouvrir à Nicole. Ils avaient une relation très étroite avec Fabio. Ils savaient qu’il devait se battre et que sa vie serait plus courte. J’en ai souvent parlé avec eux. Pourtant je me suis rendue compte que, même si j’étais toujours à leur écoute, ils n’osaient pas poser certaines questions qui les tourmentaient. Ils ressentaient aussi que je ne me sentais pas bien avec la situation, que je souffrais énormément. Je pense qu’ils voulaient me protéger d’encore plus de larmes et de soucis. C’est pourquoi il a été si précieux pour nous que Nicole vienne et nous accompagne. Ils ont fait des bricolages, dessiné, cuisiné, joué, regardé des livres avec elle, et ont trouvé des réponses à toutes leurs questions. Cela leur a permis d’exprimer leurs émotions, de montrer ce qui les préoccupait, même lorsqu’ils ne voulaient pas en parler directement. »
Accompagner l’entourage
Les tâches d’une accompagnatrice de deuil incluent également l’accompagnement de l’environnement social, par exemple en coachant les enseignant·e·s. Il arrive ainsi qu’elle accompagne les frères et sœurs endeuillés lors de leur première journée d’école après la perte, et qu’elle soit présente non seulement pour l’enfant concerné, mais aussi pour aider la classe et les enseignant(e)s à comprendre l’inconcevable. « Parfois c’est l’école qui permet d’accéder à une famille en tant qu’accompagnateur·trice du deuil. Ou, dans le meilleur des cas le lien passe, comme pour moi, par les médecins. Car l’accompagnement du deuil est toujours un travail d’équipe ! », souligne Nicole Spesny.
Daniela Spitz aussi, infirmière HES en pédiatrie, au service de néonatologie à l’Hôpital de Winterthur et qui effectue des soins pédiatriques à domicile au sein de l’Association Joel, connaît la valeur de la collaboration entre les accompagnateurs·trices de deuil, le personnel médical, les psychologues et les aumôniers. Dans son travail palliatif à domicile, son intervention se terminait autrefois avec la mort de l’enfant. Cela lui pesait. Après avoir soutenu quotidiennement les familles affectées, elle souhaitait poursuivre l’accompagnement même après le décès. Elle a ressenti combien il était précieux de rester aux côtés des familles après la perte. C’est pour cette raison qu’elle a suivi la formation d’accompagnatrice pour familles en deuil.
Les deux femmes soulignent que le deuil pathologique ou traumatique doit être pris en charge par des psychologues ou psychiatres. Cependant, pour un deuil évoluant de manière saine et naturelle, les accompagnateurs·trices de deuil apportent un savoir-faire approfondi et, en travaillant au domicile des personnes concernées, dans un environnement familial et protégé, souvent de ressource supplémentaires. Ils·elles peuvent aussi recourir à de nombreuses options d’accompagnement complémentaires.
Le soutien pratique fait aussi partie de l’accompagnement
Comme dans le cas de la famille de Liam. Ce garçon de 5 ans allait mourir d’une tumeur au cerveau. Lui aussi avait été suivi à l’Hôpital pour enfants de St Gall, puis pris en charge à domicile par l’équipe PACT. Daniela Spitz raconte que la mère de Liam refusait jusqu’au bout d’accepter que son fils allait mourir. Cependant, dès que Liam est décédé à cinq heures du matin, le besoin de la mère pour un accompagnement dans le deuil est devenu urgent et Daniela Spitz a été appelée à ses côtés.
La mère ressentait un besoin pressant d’agir et voulait peindre le cercueil. Cela a montré que : « Parfois, un soutien très pratique est nécessaire. Pendant que la grand-maman est partie acheter des peintures, j’ai récupéré le cercueil de l’enfant aux pompes funèbres avec ma voiture personnelle, car la famille ne souhaitait pas voir le corbillard devant la maison. »
Puis tout le monde est passé à l’action. C’est précisément cela, donner une forme, une expression au deuil : l’insert du cercueil a été retiré et, avec l’aide de Daniela Spitz, la famille a collé la couverture préférée de Liam dans le cercueil. La mère a décoré le bord avec les figurines Lego de Liam.
Expliquer la mort à la petite sœur
Pendant que les adultes exprimaient leur amour pour l’enfant décédé et leur deuil de cette manière, Daniela Spitz a demandé si elle pouvait emmener la sœur de trois ans dans la chambre de son frère décédé. Car tout aussi important que donner une expression au deuil, il est essentiel pour les enfants de comprendre la mort et le décès de manière adaptée à leur âge. L’idée qu’il faudrait les protéger de cette dure réalité ou que voir un frère, une sœur ou même un parent mort pourrait être un traumatisme, persiste dans de nombreux esprits. Pourtant, chaque enfant ressent cette tempête tourbillonnante, aux vagues immenses. Leur imagination dépasse souvent la réalité. Et si on ne les invite pas dans le bateau, ils se sentent exclus et peuvent en venir à ne plus faire confiance à leur propre perception et à leurs émotions. Le fait de comprendre implique souvent, au sens propre du terme, de com-PRENDRE, de SAISIR. Daniela Spitz a guidé doucement Erin, la petite sœur de trois ans, vers son frère décédé. «Touche sa main, elle est froide maintenant, alors que la tienne est chaude.» Elle lui explique pourquoi c’est ainsi, et ensemble, elles observent qu’il ne respire plus, qu’il n’a plus de battements de cœur. Ensuite elles rejoignent le papa qui, avec la grand-maman, peut offrir à Erin un soutien et de la stabilité dans ce moment difficile.
La mère de Liam souligne, en y repensant, à quel point la présence de Daniela Spitz a été essentielle pendant la période palliative mais surtout aussi après : « Elle a toujours su ce dont nous avions besoin. À quel moment il était important qu’elle accompagne Liam et nous, ses parents, dans la chambre, ou quand elle pouvait nous laisser seuls et s’occuper d’Erin en jouant avec elle. Ou encore, à quel moment elle devait passer du temps avec Liam. Je pense qu’il est essentiel de mieux faire connaître cette offre et d’encourager d’autres familles à en bénéficier.»
Les enfants vivent le deuil différemment des adultes
Les réactions des enfants face à une perte peuvent souvent dérouter leur entourage. Ils peuvent, par exemple, être assis profondément tristes près du lit de leur sœur décédée, puis, quelques instants plus tard, s’amuser joyeusement dehors comme si de rien n’était. Ou lorsqu’ils continuent à fonctionner de manière parfaitement normale à l’école, sans que personne ne remarque leur tristesse.
On parle aussi de « saut dans les flaques » pour décrire le deuil des enfants. Ils sautent dans la flaque de la tristesse, puis en ressortent presque immédiatement. Cette image illustre le fait que la tristesse est proportionnelle à la compréhension de la perte. Un jeune enfant ne peut pas encore saisir toute l’ampleur de la mort, il ne comprend pas pleinement le concept du « plus jamais ». Ainsi, pour les enfants, la taille de leur tristesse prend symboliquement la taille d’une flaque d’eau. Plus ils grandissent, plus la flaque devient grande, jusqu’à devenir un lac, et parfois même, à l’adolescence, un océan apparemment infranchissable. Cela ne signifie pas pour autant que le deuil des enfants est « petit » et ne nécessite pas d’attention ou d’accompagnement. Cela montre simplement que les réactions de deuil des enfants peuvent être différentes de celles des adultes. Et à chaque nouvelle prise de conscience de la perte, le deuil peut se manifester à nouveau, parfois sous une forme différente, même des années plus tard. Par exemple lorsqu’un enfant entre à l’école et prend conscience du vide sous un angle nouveau et élargi. Ou lors de la journée des parents à l’école, lorsque tous les autres enfants sont accompagnés par leur papa et leur maman, et que la sienne est absente. Ou bien l’enfant présente soudainement, une ou deux années après la perte, des symptômes physiques ou adopte un comportement inhabituel à l’école. Souvent à ce moment-là on ne pense plus à une réaction de deuil. Pourtant, cette douleur peut resurgir même après des années, nécessitant à nouveau un accompagnement.
Modèles de tâches plutôt que modèles de deuil linéaires
L’accompagnement dans le deuil est une discipline encore jeune et la compréhension du deuil a beaucoup évolué ces dernières années. Partant des modèles de la chercheuse sur la mort Elisabeth Kübler-Ross, on considérait le deuil comme un processus linéaire en plusieurs phases, en mettant l’accent sur l’importance du « lâcher-prise ». On croyait qu’une fois toutes les phases surmontées, le deuil était terminé. Aujourd’hui on parle plutôt de facettes ou de tâches du deuil, qui ne se déroulent pas de manière linéaire mais peuvent être vécues simultanément. On sait aussi qu’elles ne peuvent pas simplement être « cochées ».
« Les « phases » impliquent une certaine passivité – elles arrivent à la personne en deuil, qui n’a rien d’autre à faire que de les traverser. Les « tâches », en revanche, sont en lien avec le concept de « travail de deuil » de Freud – la personne endeuillée doit et peut faire quelque chose pour surmonter cette période difficile de la vie. »(2)
Beaucoup des modèles de deuil actuels sont basés sur le modèle du psychologue américain et chercheur sur le deuil William Worden. Il a défini quatre tâches : Accepter la réalité de la perte, travailler la douleur du deuil, s’adapter à un monde sans la personne décédée, créer une connexion durable avec la personne décédée tout en s’engageant dans une nouvelle vie.
Particulièrement remarquable est le passage de l’idée du lâcher-prise à celle de la tâche de rester connecté avec la personne décédée. L’expert en deuil Roland Kachler(3) souligne également l’importance de rester lié aux défunts et de leur attribuer une nouvelle place. C’est là que de nombreuses personnes endeuillées ont besoin de soutien et accompagnement professionnel, par exemple lorsqu’il s’agit de trouver des rituels qui apportent du réconfort et maintiennent ce lien, tout en étant intégrés à la vie quotidienne.
Expliquer la mort avec un gant
À la maison, chez Fabio, il est évident que la fin approche. Il est sous sédation depuis un jour, un moment particulièrement difficile pour la famille, un premier adieu déjà presque définitif. Leur enfant n’est plus en mesure de communiquer.
C’est pourquoi Nicole Spesny arrive avec sa mallette du deuil. Elle en sort un gant en plastique transparent et, avant de l’enfiler, dessine un cœur sur sa main, visible à travers le gant. Elle explique aux frères de Fabio que la main avec le cœur illustre ce qui constitue un être humain : sa manière de rire, de rayonner, de parler, de ressentir, d’agir, et bien plus encore. On appelle cela l’âme. Dans un cadre rassurant, dans leur propre chambre, elle explique à Diego et Raffael que Fabio respire de plus en plus difficilement et qu’il va bientôt mourir. Elle leur dit que même si sa respiration est bruyante et semble étrange, Fabio n’a pas mal et n’a pas peur, car il reçoit des médicaments. Elle leur explique que le corps de Fabio se refroidit progressivement, d’abord les bras et les jambes, car son cœur ne pompe plus aussi fort. Elle les prépare au fait que Fabio cessera bientôt de respirer et que l’on sentira alors que la vie, son âme, quittera son corps. À ce moment-là Nicole retire doucement sa main du gant. Le gant, désormais « sans vie », reste posé sur la table – il symbolise le corps terrestre que Fabio n’a plus besoin de porter, car il est devenu trop petit pour lui. Sa main, avec le cœur, se lève vers le haut.
Les accompagnateurs·trices de deuil ne donnent pas de réponses toutes faites aux enfants sur ce qui se passe après la mort ou sur l’endroit où va l’âme. Ils·elles posent plutôt des questions : « Où penses-tu que Fabio est maintenant ? » Diego, âgé de neuf ans, avait déjà une idée bien claire : « Quand l’âme part, » explique-t-il à Nicole Spesny, « on va au ciel. Mais avant cela, on peut se débarrasser de tout ce qui nous pèse et nous accable. On peut déposer le sac à dos avec tout son fardeau. Fabio peut se débarrasser ici de son fauteuil roulant et de tous ses équipements », dit-il. « Et ensuite, on entre au ciel et on vous serre dans les bras ! »
Ce sont de tels moments qui rendent le travail de Nicole Spesny et Daniela Spitz inestimable. Face à de telles pensées et des émotions si intenses, il est parfois nécessaire de passer à une activité concrète. Nicole Spesny, accompagnatrice de deuil, est à l’origine enseignante de travaux manuels et d’économie domestique, et elle connait cela par expérience personnelle. Il y a 16 ans, elle a perdu son mari et père de ses enfants et elle laissait souvent sa colère et son désespoir s’exprimer en pétrissant de la pâte à pain. Elle a donc emmené spontanément Raffael et Diego à la cuisine pour pétrir de la pâte. « On peut la malmener sans blesser personne. Au contraire, plus on la travaille et tourmente, meilleure elle devient. Ainsi, de la colère naît quelque chose de nouveau, quelque chose de bien. » Un exemple magnifique comment transformer la colère et le deuil.
L’association familientrauerbegleitung.ch comble une lacune en Suisse alémanique
Lorsque Fabio a quitté ce monde, ses frères ont pu être à ses côtés. Avec leurs parents, ils se sont allongés près du lit de leur frère décédé. C’est à ce moment que Diego a ressenti une contrariété : il s’est rendu compte que le corps de son frère décédé était toujours là, alors qu’il s’attendait à ce que Fabio se trouve aux portes du ciel. Dans une telle situations on doit pouvoir expliquer ce qui va se passer avec le corps de Fabio.
Mechthild Schroeter-Rupieper, accompagnatrice de deuil et autrice de nombreux ouvrages sur le deuil ainsi que de livres pour enfants ayant pour thème la fin de vie, la mort et le deuil, raconte un cas similaire. Le fils du défunt avait pu assister aux funérailles de son père, mais sans recevoir d’explications. Quand il a vu l’urne qu’on portait au cimetière, il a demandé, bouleversé, si seulement la tête de son papa s’y trouvait ? Logique, la taille correspondait. Ce type de situation illustre de manière saisissante que les enfants ne doivent pas être laissés seuls avec leur imagination.
Mechthild Schroeter-Rupieper a fondé, il y a plusieurs années déjà, en Allemagne un institut dédié à l’accompagnement des familles endeuillées et est une pionnière de l’accompagnement des enfants et adolescent·e·s en deuil en Europe. Inspiré par son travail, l’association familientrauerbegleitung.ch a été créée en Suisse en 2016. Avant n’existaient en Suisse que des offres destinées aux adultes ou un soutien psychologique. À une époque où les psychologues pour enfants et adolescent·e·s sont débordés et les services psychiatriques surchargés, la présence croissante en Suisse de professionnels formés à l’accompagnement des familles en deuil est d’autant plus précieuse. L’Association est active dans toute la Suisse alémanique et met à disposition un réseau de professionnel·le·s qualifié·e·s. Ces accompagnateurs·trices soutiennent les familles tant dans des situations palliatives ou d’urgence qu’après un décès, parfois même plusieurs années plus tard. En outre, en cas de difficultés financières, l’association aide à cofinancer l’accompagnement du deuil.
Nicole Spesny et Daniela Spitz sont membres du réseau professionnel de l’Association. La plupart des accompagnateurs·trices interviennent principalement à domicile auprès des familles en deuil, parfois dans leur cabinet, et souvent en collaboration avec les services sociaux scolaires, les communes, les pédiatres, ainsi que diverses institutions et organisations.
Lorsque qu’un parent ou un frère ou sœur décède, la perte crée non seulement un vide immense, mais bouleverse aussi tout le système familial et le réseau de relations. D’où l’importance d’une collaboration en équipe et de la mise en réseau de tous les professionnels concernés.
L’Association se concentre précisément sur ces aspects : briser les tabous autour du deuil, sensibiliser la société au deuil des enfants et informer les éducateurs·trices, soignant·e·s, médecins, mais aussi les pompes funèbres etc. par des conférences et des journées d’étude. L’association encourage également la coopération et le développement de réseaux entre différents spécialistes.
Dans les groupes de deuil les enfants découvrent qu’ils ne sont pas seuls
Un service très important proposé par l’Association sont les groupes de deuil pour enfants et adolescent·e·s, gratuits et organisés à l’échelle régionale. Cet engagement bénévole a valu à l’Association le Prix benevol en décembre 2023. L’émission « Schweiz aktuell » de la SRF a visité le groupe de deuil pour enfants à Wohlen et dressé le portrait d’une mère et de ses deux enfants, qui avaient perdu le conjoint et père par suicide. Ce sont de premiers pas précieux pour mieux faire connaître l’Association et ses offres.
Dans les groupes de deuil de l’Association les enfants et les adolescent·e·s apprennent, de manière ludique et créative, des stratégies pour gérer leur deuil, tout en découvrant leur capacité à agir face à cette situation. Le partage les renforce et le simple fait de savoir que d’autres vivent la même chose et qu’ils ne sont pas seuls dans leur sort, peut être un immense soulagement. Les enfants se comprennent souvent sans avoir besoin de mots, ils n’ont pas à justifier ou expliquer leurs réactions au deuil. Cet accès facile et gratuit aux groupes de soutien ne renforce pas seulement les enfants, mais soulage aussi les parents.
Le besoin des enfants de ne pas être abandonnés face à leur expérience de deuil a également été constaté à la Clinique pédiatrique universitaire Zurich.
Accompagnement psychologique du deuil à la Clinique pédiatrique universitaire de Zurich
Au Centre de compétences en soins palliatifs pédiatriques de la Clinique pédiatrique universitaire Zurich, une idée est née : offrir aux enfants et adolescent·e·s concerné·e·s par la perte d’un proche un espace pour se rencontrer et échanger.
Le 20 mars 2013, la clinique a organisé une première rencontre, à laquelle se sont inscrits 14 enfants âgés de 4 à 15 ans, ayant tous perdu un frère ou une sœur. Depuis, cette initiative a lieu deux fois par an, sous diverses formes. Que ce soit avec un clown animant l’après-midi avec de la musique et des tours de magie, une art-thérapeute créant des œuvres avec les enfants, des psychologues menant des adolescent·e·s dans une chasse au trésor, ou une éducatrice sociale explorant avec les enfants les trésors de la forêt, à chaque fois, les enfants et adolescent·e·s tissent rapidement des liens.
Une courte présentation au début des rencontres permet à chacun de partager qui, dans leur famille, est décédé prématurément. C’est impressionnant de voir à quel point même les enfants les plus timides ou les plus jeunes s’intègrent rapidement au groupe. En peu de temps on a l’impression que les enfants se connaissent depuis longtemps. Le lien qui se crée entre eux est profondément émouvant et confère à chaque rencontre une atmosphère presque magique. Parfois, loin des adultes, des conversations spontanées surgissent sur les frères et sœurs ou parents décédés. Ces après-midis donnent parfois naissance à des amitiés entre enfants ou adultes, qui perdurent.
Les offres actuelles et les prochaines dates sont disponibles sur le site web Palliative Care (uzh.ch).
Interview avec les accompagnatrices de deuil Daniela Spitz et Nicole Spesny
Par les exemples cités nous avons obtenu un aperçu de votre activité. Qu’est-ce qui est particulièrement important dans le processus du deuil ?
Daniela Spitz : Très souvent, il s’agit de ralentir le rythme, de dire aux familles : « Maintenant, nous avons du temps. » Quand on leur accorde du temps, de nombreuses idées peuvent émerger, des idées auxquelles ils n’auraient sinon peut-être pas pensé. Souvent, il s’agit aussi de « donner de l’espace », de leur offrir un cadre, ou de leur donner un impulsion, ce qui peut déjà avoir un grand impact.
Nicole Spesny : Lorsque j’explique le processus de deuil aux enfants et aux adultes, j’aborde également les différents types de deuil. Certains aiment parler, d’autres préfèrent bouger, certains s’expriment de manière créative ou ressentent le besoin de se distraire. Ce qui est crucial, c’est de sensibiliser la famille aux différentes réactions face au deuil.
Spitz : Il s’agit aussi parfois de les conforter dans l’idée qu’ils ont le droit de ressentir de la joie. Beaucoup se sentent coupables à l’idée de pouvoir à nouveau se réjouir, comme si c’était un tabou. Je leur explique que le fait de ressentir de la joie ne diminue pas leur tristesse. Le deuil reste la même, mais tout ce qui l’entoure peut à nouveau grandir.
Comment votre travail se distingue-t-il de celui des psychologues ?
Spesny : L’accompagnement dans le deuil est une offre très accessible. Pour de nombreuses familles il est encore difficile de franchir le pas et consulter un·e psychologue ou un·e psychiatre, et en tant qu’accompagnateurs du deuil, nous pouvons combler une lacune. Nous ne nous considérons certainement pas comme des concurrentes, mais plutôt comme un complément précieux.
Spitz : Le deuil n’est pas une maladie et c’est un point essentiel qui le distingue des diagnostics psychiatriques. Lorsque qu’il n’y a pas de traumatisme, de deuil pathologique ou compliqué, l’accompagnement par un·e accompagnateur·trice de deuil est la meilleure option. Bien sûr, nous sommes sensibilisés à ces questions et connaissons nos limites. Dans l’idéal, nous avons un·e psychologue en soutien.
Spesny : En effet, dans le cas de la famille de Fabio par exemple, tous les membres de la famille sont également suivis par un ou une thérapeute, et nous complétons cet accompagnement. Il faut aussi savoir que chaque membre d’une famille n’a pas les mêmes besoins. Certains ont besoin d’un soutien psychologique, tandis que d’autres nécessitent une psychoéducation, ce que nous pouvons offrir en tant qu’accompagnatrices de deuil.
Spitz : Un autre point important est celui de la distance. Bien sûr, nous devons également maintenir une distance professionnelle mais nous pouvons, par exemple, accorder une étreinte quand cela est approprié. Nous intervenons à domicile, dans le cadre familial et son entourage, ce qui nous permet d’offrir un soutien sur différents plans. Ainsi, dans leurs moments les plus sombres, les familles peuvent bénéficier du soutien nécessaire à tous les niveaux.
L’accompagnement de deuil est encore largement méconnu. À quoi çela tient-il ?
Spesny : Il serait important que les assureurs remboursent notre travail, que nous ne dépendions plus des dons. Cela garantirait que toutes les familles aient accès à un accompagnement dans le deuil. Si les médecins connaissaient mieux notre offre et pouvaient prescrire un accompagnement dans le deuil, ce serait déjà un grand pas en avant !
Comment percevez-vous jusqu’à présent la collaboration avec les pédiatres et d’autres professionnel·le·s de la santé ?
Spitz : Jusqu’à présent, dès que la collaboration a eu lieu, je n’ai fait que de bonnes expériences.
Spesny : Moi aussi, je n’ai eu que de très bonnes expériences, surtout parce que dans le cadre PACT, nous suivons les familles de manière holistique : médicalement, psychologiquement, sur le plan des soins, et également en matière d’accompagnement du deuil. C’est une expérience très précieuse, et les parents ressentent que la confiance règne au sein de l’équipe. Les parents en deuil sont très sensibles à ces aspects et perçoivent l’unité dans l’équipe.
Spitz : Malheureusement de nombreux pédiatres ne connaissent pas notre existence. Il manque souvent un réseau : mais c’est un domaine encore plutôt nouveau.
Spesny : Je suis convaincue que ceux qui connaissent notre travail l’apprécient beaucoup. De nombreux médecins aimeraient pouvoir recommander une accompagnement du deuil à leurs patient·e·s. L’Association est un point de contact important pour les médecins et les aide à trouver des accompagnateurs·trices adéquat·e·s dans leur région.
Spitz : Et il y a entre temps effectivement certaines assurances maladie qui remboursent une partie des frais pour un accompagnement dans le deuil.
Quel souhait pour l’avenir ?
Spesny : que nous puissions accompagner beaucoup plus souvent les familles de manière holistique, au sein d’équipes interdisciplinaires. Être une partie d’un tout : avec les médecins, les soignant·e·s, les services de soins à domicile, les écoles, les institutions et les proches des familles !
Références
- Canacakis, J. (2011). Ich sehe Deine Tränen. Lebendigkeit in der Trauer. Das Lebens- und Trauerumwandlungsmodell (LTUM). (Neuauflage). Kreuz Verlag. S. 175
- Worden, J.W. (2018). Beratung und Therapie in Trauerfällen Ein Handbuch (5., unveränderte Auflage). Hofgrefe Verlag Bern. S. 44
- Kachler, R. (2017). Meine Trauer wird dich finden. (1. Auflage). Herderverlag